Le Horla

de Guy Maupassant (1850-1893) 

Le Horla de Guy de Maupassant

«Peur de quoi ? je ne sais, mais une peur horrible.
Je compris, haletant et frissonnant d’effroi,
Qu’il allait se passer une chose terrible... »

Les vers De Guy de Maupassant

Guy de Maupassant : un des plus francs conteur...

M. de Maupassant est certainement un des plus francs conteurs de ce pays, où l’on fit tant de contes, et de si bons. Sa langue forte, simple, naturelle, a un goût de terroir qui nous la fait aimer chèrement. Il possède les trois grandes qualités de l’écrivain français, d’abord la clarté, puis encore la clarté et enfin la clarté. Il a l’esprit de mesure et d’ordre qui est celui de notre race. Il écrit comme vit un bon propriétaire normand, avec économie et joie. Madré, matois, bon enfant, assez gabeur, un peu faraud, n’ayant honte que de sa large bonté native, attentif à cacher ce qu’il y a d’exquis dans son âme, plein de ferme et haute raison, point rêveur, peu curieux des choses d’outre-tombe, ne croyant qu’à ce qu’il voit, ne comptant que sur ce qu’il touche, il est de chez nous, celui-là ; c’est un pays ! De là l’amitié qu’il inspire à tout ce qui sait lire en France. Et, malgré ce goût normand, en dépit de cette fleur de sarrasin qu’on respire par toute son œuvre, il est plus varié dans ses types, plus riche dans ses sujets qu’aucun autre conteur de ce temps. On ne trouve guère d’imbéciles ni de coquins qui ne soient bons pour lui et qu’il ne mette en passant dans son sac. Il est le grand peintre de la grimace humaine. Il peint sans haine et sans amour, sans colère et sans pitié, les paysans avares, les matelots ivres, les filles perdues, les petits employés abêtis par le bureau et tous les humbles en qui l’humilité est sans beauté comme sans vertu. Tous ces grotesques et tous ces malheureux, il nous les montre si distinctement, que nous croyons les voir devant nos yeux et que nous les trouvons plus réels que la réalité même. Il les fait vivre, mais il ne les juge pas. Nous ne savons point ce qu’il pense de ces drôles, de ces coquins, de ces polissons qu’il a créés et qui nous hantent. C’est un habile artiste qui sait qu’il a tout fait quand il a donné la vie. Son indifférence est égale à celle de la nature : elle m’étonne, elle m’irrite. Je voudrais savoir ce que croit et sent en dedans de lui cet homme impitoyable, robuste et bon. Aime-t-il les imbéciles pour leur bêtise ? Aime-t-il le mal pour sa laideur ? Est-il gai ? Est-il triste ? S’amuse-t-il lui-même en nous amusant ? Que croit-il de l’homme ? Que pense-t-il de la vie ? Que pense-t-il des chastes douleurs de mademoiselle Perle, de l’amour ridicule et mortel de miss Harriett et des larmes que la fille Rosa répandit dans l’église de Virville, au souvenir de sa première communion ? Peut-être, se dit-il, qu’après tout la vie est bonne ? Du moins se montre-t-il çà et là très content de la façon dont on la donne. Peut-être se dit-il que le monde est bien fait, puisqu’il est plein d’êtres mal faits et malfaisants dont on fait des contes. Ce serait, à tout prendre, une bonne philosophie pour un conteur. Toutefois, on est libre de penser, au contraire, que M. de Maupassant est en secret triste et miséricordieux, navré d’une pitié profonde, et qu’il pleure intérieurement les misères qu’il nous étale avec une tranquillité superbe.

Anatole France

Le  Horla : présentation

La peur de la folie hantait Maupassant. En 1884 il fait paraître dans le Figaro un conte intitulé Un Fou ? 

Et il met bien un point d’interrogation pour en faire une question. 

De cette date à 1886 il devient un habitué des cours publics donnés à l’hôpital de la Salpêtrière par des sommités médicales. Les sujets à la mode sont l’hypnotisme et le magnétisme, domaines qui étudient les zones mystérieuses de l’esprit humain. Maupassant va utiliser les renseignements entendus pour son récit Lettre d’un fou et Le Horla. 

Ce titre, Le Horla, est un néologisme inspiré d’un mot normand « horsain », l’étranger, et d’une expression comme « hors la loi ». La première version date de 1886 : dans un asile le Dr Marrande présente à des confrères le cas extraordinaire d’un homme qui est venu demander son internement volontaire. 

Un soir, après quelques événements bizarres le patient ne se distingue plus dans le miroir : il n’y a plus qu’une zone d’ombre. Il l’attribue à un être qui possède son esprit. A aucun moment il n’est question de démon, tout est raisonnable et d'autant plus inquiétant. Les coïncidences troublantes peu à peu entament le scepticisme des médecins. Passionné par ce thème il donne une seconde version plus étoffée en 1887. Le jour même où il remettait son texte il déclarait à son valet chambre François Tassart : « Bien des choses qui nous entourent nous échappent ».

De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule Le Horla de Guy de MaupassantLe Horla

8 mai. – Quelle journée admirable !

J’ai passé toute la matinée étendu sur l’herbe, devant ma maison, sous l’énorme platane qui la couvre, l’abrite et l’ombrage tout entière.
J’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à ce qu’on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l’air lui-même.

J’aime ma maison où j’ai grandi. De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière la route, presque chez moi, la grande et large Seine qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent.
À gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques.
Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles matinées, jetant jusqu’à moi leur doux et lointain bourdonnement de fer, leur chant d’airain que la brise m’apporte, tantôt plus fort et tantôt plus affaibli, suivant qu’elle s’éveille ou s’assoupit. 

Comme il faisait bon ce matin !
Vers onze heures, un long convoi de navires, traînés par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille.
Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe troismâts brésilien, tout blanc, admirablement propre et luisant.  Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir.

12 mai. – J’ai un peu de fièvre depuis quelques jours ; je me sens souffrant, ou plutôt je me sens triste.ni les habitants d’une étoile Le Horla de Guy de Maupassant
D’où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre bonheur et notre confiance en détresse ? On dirait que l’air, l’air invisible est plein d’inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. Je m’éveille plein de gaieté, avec des envies de chanter dans la gorge. 

– Pourquoi ? – Je descends le long de l’eau ; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m’attendait chez moi. 

– Pourquoi ? – Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? 
Sait on? 

Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur nous, sur nos organes et, par eux, sur nos idées, sur notre coeur lui-même, des effets rapides, surprenants et inexplicables.

ni les habitants d’une goutte d’eau... Le Horla de Guy de MaupassantComme il est profond, ce mystère de l’Invisible !

Nous ne le pouvons sonder avec nos sens misérables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir ni le trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin, ni les habitants d’une étoile, ni les habitants d’une goutte d’eau... avec nos oreilles qui nous trompent, car elles nous transmettent les vibrations de l’air en notes sonores. Elles sont des fées qui font ce miracle de changer en bruit ce mouvement et par cette métamorphose donnent naissance à la musique, qui rend chantante l’agitation muette de la nature... avec notre odorat, plus faible que celui du chien... avec notre goût, qui peut à peine discerner l’âge d’un vin !
Ah ! si nous avions d’autres organes qui accompliraient en notre faveur d’autres miracles, que de choses nous pourrions découvrir encore
autour de nous !

Je viens d’aller consulter un médecin Le Horla de Guy de Maupassant
16 mai. – Je suis malade, décidément ! 

Je me portais si bien le mois dernier ! J’ai la fièvre, une fièvre atroce, ou plutôt un énervement fiévreux, qui rend mon âme aussi souffrante que mon corps ! J’ai sans cesse cette sensation affreuse d’un danger menaçant, cette appréhension d’un malheur qui vient ou de la mort qui approche, ce pressentiment qui est sans doute l’atteinte d’un mal encore inconnu, germant dans le sang et dans la chair.

18 mai. – Je viens d’aller consulter un médecin, car je ne pouvais plus dormir.
Il m’a trouvé le pouls rapide, l’oeil dilaté, les nerfs vibrants, mais sans aucun symptôme alarmant. Je dois me soumettre aux douches et boire du bromure de potassium.

texte le Horla de Guy de MaupassantLe texte :Le Horla de Guy de Maupassant


Le texte :Eloge funèbre par Emile Zola

Site de l'association des amis de Guy de Maupassant :

Maupassant par les textes

Athena les textes mis en ligne par Thierry Selva :Guy de Maupassant

Bibliothèque de Lisieux :Guy de Maupassant


Guy de Maupassant Lycée de Fécamps : Contributions


Bibliographie Le Horla de Guy de MaupassantGuy de Maupassant :

Le Horla (première version). Texte publié dans Gil Blas du 26 octobre 1886.

 Le Horla. Texte publié pour la première fois dans le recueil auquel il donne son nom,
Le Horla
, aux Édition Ollendorff, recueil annoncé à la Bibliographie de la France le 25 mai 1887 texte

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